L’Adam demande un relèvement du prix d’OPA sur Altamir

Cette OPA des sociétés de Maurice Tchenio sur Altamir dont il est le gérant, devait signer l’épilogue d’un long pugilat entre l’ex-patron d’Apax et le gestionnaire de fonds Moneta, mais c’est surtout le début d’une autre bataille compliquée, sur le prix d’OPA cette fois-ci.

« Le beurre et l’argent du beurre… »

Maurice Tchenio, gérant de la société en commandite par actions Altamir, dont il est le premier actionnaire, voudrait faire d’une pierre deux coup. En lançant une OPA sur Altamir, il peut espérer se débarrasser des minoritaires gênants comme Moneta tout en rachetant des actions Altamir avec une forte décote. Reste ce 25 mai 2018, à obtenir le feu vert de l’AMF.

Amboise SAS, dont Maurice Tchenio détient 100 % et sa filiale Amboise Partners ( ex-Apax partners), actionnaires avec 29,41 % d’Altamir, ont déposé, le 4 mai dernier un projet d’OPA portant sur la totalité des actions ordinaires d’Altamir. Les sociétés s’engagent à acquérir ces actions qu’ils ne possèdent pas au prix de 16,71 €, dividende détaché².( Plus de détails, à lire sur « Le journal des OPA »)

Le prix  a été jugé équitable par l’expert indépendant, le cabinet Ledouble, mais il est contesté par la présidente de l’Association de défense des minoritaires, Colette Neuville, qui intervient depuis des années à l’assemblée générale d’Altamir pour dénoncer aux côtés de Moneta, soit des commissions trop élevées payées à la gérance, soit des dividendes trop faibles versés aux actionnaires.

Un projet d’OPA,  jugé « dommageable » par l’Adam 

Pour Colette Neuville, l’offre ne devrait pas recevoir l’avis de conformité de l’AMF car en l’état, le projet est « dommageable » et donc « contraignant » pour les actionnaires. Elle estime qu’ Altamir devrait payer un prix de l’action égal, a minima, à l’actif net (réévalué dans le cas d’Altamir) par action. Or, le prix actuel ne valorise la société qu’à hauteur de 634 millions € soit 23 % en dessous de l’actif net (les capitaux propres) de 778 millions € dans les comptes consolidés au 31 mars dernier soit 21,31 € par action, avant détachement du coupon.

La présidente de l’Adam vient d’écrire une lettre à l’AMF pour présenter ses arguments et contester la nature même de cette OPA que le patron d’Altamir présente comme une simple fenêtre de liquidité ou « porte de sortie » pour les minoritaires. L’Adam y voit plutôt une mauvaise affaire, que ce soit pour les actionnaires qui resteront au capital, ou pour ceux qui apporteraient leurs actions.

Maurice Tchenio, met en avant le fait qu’Altamir n’est pas une société comme les autres puisque c’est une société en commandite par actions ( voir nos articles de 2016 « Altamir et le génie des boîtes noires » ). Il soutient  qu’il possède déjà le contrôle de la société du fait de son statut de commandité et demande un traitement spécial à l’AMF. Toutefois, la réglementation ne prévoyant pas d’exception pour cette forme de société, Colette Neuville qui estime que le contrôle, du fait des statuts, n’est pas établi, semble fondée à demander la révision de cette OPA.

Le « droit des minoritaires » existe-t-il dans les sociétés en commandite ?

Si ce qu’on appelle le « droit des minoritaires » existe bien pour les sociétés anonymes,  on risque de s’apercevoir une fois de plus qu’il est difficile à mettre en oeuvre au sein des sociétés en commandite par actions ( SCA) qui vivent souvent mal, leur cotation en Bourse. Comme chez Hermès International, Michelin, Tikehau, ou encore Lagardère qui ont le statut de SCA, chez Altamir ce sont les associés commanditaires ( autrement dit les actionnaires lambda) qui possèdent le capital, mais contrairement à ce qui se passe dans une SA, où les actionnaires nomment un conseil qui a la main sur la Direction ( au moins en théorie), dans une SCA, la Direction de la société échappe totalement aux associés commanditaires.  Elle est du ressort des associés commandités qui nomment un gérant. Les commanditaires perçoivent des dividendes le cas échéant, votent en AG, nomment bien un conseil de surveillance. Mais celui-ci ne fait que donner un avis sur la stratégie sans en définir les orientations. Il n’intervient pas non plus dans sa mise en œuvre, ni dans la gestion confiées au gérant, lequel est nommé exclusivement par le commandité. Pour cette raison, rares sont les SCA qui ne finissent pas en pugilat avec d’un coté des commandités qui ne veulent pas partager les pouvoirs qu’ils retirent de la loi, et des commanditaires qui tentent quand même d’influer par leurs votes en AG en bloquant les décisions.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé chez Altamir.  Avec 29,4 % des actions de la commandite et autant de votes en AG, Amboise, alias Maurice Tchenio qui est aussi commandité et gérant avec Altamir Gérance, n’a pas toujours pu faire passer en AG, les résolutions qu’il souhaitait voir adoptées (lire :  » Maurice Tchenio mis en minorité à l’AG d’Altamir »).  Quant à l’actionnaire Moneta ( 9,1 % du capital), il se plaint régulièrement du gérant qui prélèverait des commissions trop importantes (2,70 % des capitaux moyens souscrits et investis) pour une valeur ajoutée limitée et verserait trop peu de dividendes aux commanditaires ( 3 % de l’actif net). Bref, la dispute dure depuis 2012, et Maurice Tchenio a fini par aller en justice en 2015. Il reproche à Moneta d’être responsable de la sous-valorisation de l’action, demandant au passage 35 millions € de dommages et intérêts. Un rapport d’expert auprès du Tribunal – le rapport Bergeras – ne lui a pas donné raison et il n’a pas touché pour l’instant les 35 millions espérés. En réalité, les conflits d’intérêt et le faible rendement ajoutés au statut de la commandite par action, sont devenus un véritable épouvantail pour les actionnaires institutionnels et sauf exception, les actions de SCA subissent naturellement une décote.

Une demande de dérogation auprès de l’AMF qui conditionne le prix

Une chose est certaine, si le patron d’Altamir avait voulu respecter les droits des minoritaires, il n’aurait certainement pas choisi un statut de commandite et n’aurait pas mis en place la nébuleuse qui lui permet de verrouiller la Direction et les commissions qu’elle se verse. Cette nébuleuse, lui permet de contrôler 100 % du commandité, d’assurer la gérance avec tous les pouvoirs et de détenir 29,4 % du capital ce qui, compte tenu du quorum et de quelques fidèles, lui donne régulièrement plus de 50 % des voix en AG où le quorum oscille entre 62 et 72 %. Il n’hésite donc pas à affirmer dans le projet d’offre paru sur le site de l’AMF que «Compte-tenu de la forme statutaire d’Altamir en société en commandite par actions et du contrôle d’Altamir Gérance SA par Amboise, l’Initiateur exerce d’ores et déjà le contrôle de la Société au sens de l’article L.233-3 du code de commerce, indépendamment du montant de sa participation au capital». Au vu de la dernière AG d’Altamir du 26 avril dernier, on constate effectivement que la contestation n’est pas allée au delà de 20 % des votes cette année, ce qui n’était pas le cas en 2016. Tout laisse donc penser que des minoritaires contrariants ont déjà jeté l’éponge.

Pourquoi est-il si important que la position de contrôle au sens de l’article L233-3 du Code du commerce, soit reconnue à l’initiateur de l’OPA Amboise SAS ? Parce que dans ce cas, l’initiateur sera fondé à obtenir de l’AMF, la dérogation sollicitée, afin de ne pas se voir imposer un seuil de caducité de 50 % à son opération. Alors que sans dérogation, l’initiateur sera contraint ( et l’expert indépendant y veille) de proposer un prix suffisamment attractif pour réussir à réunir plus de 50 % du capital.  Si l’AMF accorde sa dérogation au seuil de caducité comme le demande l’initiateur de l’OPA, Amboise ne sera pas contraint de proposer un prix attractif pour atteindre le seuil de 50%. Et c’est bien ce que fait la société, en proposant un prix inférieur de 20 % à l’actif net d’Altamir.

Être associé commandité ne suffit pas pour être exonéré du seuil de caducité, selon l’Adam

L’Adam ne l’entend pas de cette façon, et il n’est donc pas question qu’Altamir obtienne la dérogation au seuil de caducité. La présidente rappelle que « le seuil de caducité a été institué pour éviter que des initiateurs puissent acquérir le contrôle de fait d’une société moyennant un cours trop bas pour obtenir le contrôle majoritaire ».  Elle souligne en outre, que la notion de contrôle que revendique Amboise, en tant que commandité, ne résiste pas à l’examen. «  Le contrôle au sens de l’article L233-3 du code de commerce, ne consiste pas dans le pouvoir de nommer et de révoquer les dirigeants, mais dans le fait de disposer d’au moins 40 % des droits de vote en l’absence de tout actionnaire plus important » estime l’Adam qui cite la doctrine. Or, Altamir n’a que 29,41 % des droits de vote et cette proportion ne lui a jamais permis de prétendre atteindre seul la majorité des votes ( 50 %) en AG.  « L’AMF devrait donc constater que l’initiateur est mal fondé dans sa demande  et qu’il ne suffit pas d’être associé commandité pour prétendre détenir le contrôle majoritaire et être exonéré du seuil de caducité lors d’une OPA » écrit Colette Neuville. Ce qui reste évidemment à établir.

Un pacte d’actionnaires preuve d’une action concertée qui rendrait l’OPA obligatoire

Pour étayer sa contestation et demander un relèvement du prix d’OPA, l’Adam évoque d’autres arguments. En question également : un accord conclu dès le 19 avril 2018, entre certains actionnaires minoritaires et Amboise SAS, l’initiateur.  Cet accord qui ne serait autre qu’un pacte d’actionnaires d’après l’Adam, suggère que Maurice Tchenio serait de concert avec d’autres actionnaires qui lui sont proches. Il aurait ainsi, de fait, déjà passé la barre des 30 % du capital d’Altamir. A ce titre,   l’OPA qui doit être mise en oeuvre n’est pas une OPA « volontaire » mais une OPA « obligatoire », selon l’Adam.

En effet, le groupe majoritaire ( Amboise et sa filiale) ne souhaitent pas conserver plus de 65 % du capital d’Altamir, une fois l’OPA terminée, afin de rétablir un minimum de flottant. Et il est  précisé que quatre actionnaires représentant 11,4 % du capital, se sont engagés à ne pas apporter leurs titres à l’OPA et qu’ils se sont également engagés à reprendre 6,56 % des actions Altamir détenus par le groupe majoritaire,  au prix de l’OPA, en cas de dépassement du seuil de 65 %.

Ces accords qui n’ont été publiés en détail que le 22 mai dernier et ils révèlent que parmi les quatre actionnaires en question, figurent la société par actions simplifiée TT Investissements représentée par Roland Tchénio, frère du gérant Maurice, le président du conseil de surveillance d’Altamir Jean-Hugues Loyez qui se dit indépendant mais a bien du mal à gérer les conflits d’intérêts. Figurent également  la société́ civile Pegase représentée par  Edgard Misrahi, le patron d’Apax, principal « fournisseur » de participations d’Altamir ainsi que la société anonyme Terzos représentée par Gabriel Jean.

Outre le fait qu’elle fait remarquer que les quatre personnes citées ont de toute évidence bénéficié d’une information privilégiée, ayant eu connaissance de l’OPA avant qu’elle ne soit rendue publique, l’Adam s’interroge sur les avantages que les quatre actionnaires ont pu obtenir en contrepartie de leurs engagements. Pourquoi ont-ils accepté, d’acheter 6,56 % du capital au dessus du cours de Bourse alors qu’en achetant des titres sur le marché, ils auraient sans doute pu les payer moins cher ? Colette Neuville avance, que cet accord a tout d’une action de concert, ce que réfute l’initiateur de l’offre. Elle estime que l’engagement des quatre actionnaires, à racheter 6,56 % du capital à Amboise, une fois l’OPA terminée, ressemble de près à une participation au financement de l’opération à hauteur de 40 millions €. Sachant que 40 millions € c’est précisément ce dont aura besoin Amboise SAS pour rembourser son emprunt.

Le risque d’une décote future de l’action, pour illiquidité

D’autre part, toujours selon l’Adam, si les actionnaires qui on signé l’accord restent au capital c’est parce qu’ils sont en accord avec la stratégie qui est «  de constituer un actionnariat uni, derrière un projet ambitieux de croissance  et de création de valeur sur la durée ». Enfin, dans  la mesure où pour que le concert existe, il suffit qu’il y ait un accord « en vue d’acquérir » ce qui est le cas,  et dans la mesure où, selon l’Adam, se trouvent réunis deux éléments de l’action de concert, il y a de fortes présomptions d’action de concert. L’obligation de mettre en œuvre, non pas un projet d’offre volontaire comme c’est le cas, mais une offre « obligatoire », à un prix susceptible d’être déclaré conforme serait donc fondée. Or, « on peut penser qu’une décote de 20 % par rapport au prix d’actif net réévalué, ne le serait pas » avance Colette Neuville.

Elle fait également deux autres remarques dans sa lettre à destination de l’AMF. Primo, elle note que l’accord en question, s’il est mis en œuvre aura pour effet de réduire considérablement le flottant à 17 % du capital puisque le groupe majoritaire détiendrait 65 % et les quatre actionnaires ayant signé les accords 18 % ( 11,4 % + 6,6 % ). Et elle constate que dans ce cas, le pouvoir des minoritaires sera réduit à néant.  Pour ces deux raisons, la décote sur l’action Altamir ne pourra qu’augmenter une fois l’OPA terminée, explique l’Adam,  d’où le caractère contraignant de l’opération, et la nécessité d’offrir un prix plus équitable.

L’opération donnera-t-elle lieu à une bagarre de juristes ? Donnera-t-elle raison à l’Adam ? C’est probable sauf à ce que l’AMF entérine une fois pour toutes le fait que la « protection des minoritaires » n’est pas assurée dans les sociétés qui choisissent le statut de commandite par actions. Que les commandités soient ou non de bonne foi.

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gali
6 années plus tôt

Selon la lettre A, l’AMF veut en savoir plus et n’a pas encore examiné l’opa sur Altamir en sa séance du 29/05, ce qui pourrait expliquer le non-respect du calendrier indicatif concernant l’ouverture de l’OPA d’Amboise sur Altamir. https://www.lalettrea.fr/entreprises_finance/2018/06/01/opa-d-amboise-sur-altamir–l-amf-veut-en-savoir-plus,108312241-bre

Selon votre article, l’ADAM demande entre autres un relèvement du prix de l’opa. Peut-on encore l’espérer ou l’opa peut-elle tout simplement être abandonnée et se retrouver de nouveau avec une décote de 30/35% ?

Toujours compliqué avec Altamir d’y voir bien clair, la faible croissance de l’ANR en 2017 étant quand même étonnante au vu de la forte performance des marchés boursiers sur cette même année. A mettre en rapport avec cette offre qui était dans les tuyaux ? Difficile de se faire une idée !